François Leclercq et Paul Laigle, de l’agence d’architecture et d’urbanisme Leclercq Associés, publient un ouvrage documenté sur l’état de la forêt française et de la filière bois.
En collaboration avec la journaliste Michèle Leloup et le photographe Cyrille Weiner, ils retracent l’expérience de l’agence depuis 20 ans dans la construction bois et pointent les défis à venir pour la filière.
L’occasion d’interroger l’architecte Paul Laigle, sur l’avenir de ce matériau dans sa manière de façonner les villes d’aujourd’hui et de demain.
Paul Laigle, architecte de l’agence Leclercq Associés © Schnepp Renou
Architecture Bois : Pourquoi avez-vous publié ce livre sur la construction bois, qu’est-ce qui vous a incité à prendre la parole sur ce sujet ?
Paul Laigle : Au démarrage de ce livre, il y avait notre témoignage car cela fait 20 ans que nous faisons du bois. Au cours de nos différents projets, nous avons pu vivre différentes ères dans la promotion de la construction bois. Pour ce livre, nous avons fait appel à Cyrille Weiner, qui a photographié nos projets avec beaucoup de sensibilité. Et également Michèle Leloup, journaliste, qui a interrogé les acteurs de la filière bois-forêt. Au delà de notre ressenti d’architectes, elle interroge les acteurs de la filière bois afin d’élargir notre champ de la réflexion.
Notre expérience débute avec notre premier projet bois en 2000. Nous étions tout à fait tranquilles, on faisait un peu ce que l’on voulait avec le bois parce que personne ne le connaissait, sinon par le chalet suisse. Cinq ans plus tard, on entre dans un autre rapport au bois. Le maître d’ouvrage veut du bois parce qu’il y a un message important à porter, notamment environnemental mais il est aussi exigeant et nous attend sur la manière dont le bois va vieillir. En 2010, les choses ont encore évolué… L’État commence à se réinterroger pour replacer la filière industrielle bois dans une plus grande priorité. À partir de là, on va vivre d’incroyables avancées, à la fois dans l’innovation et dans la législation. On voulait témoigner de notre ressenti, notamment face à cette nouvelle ère qui s’ouvre à nous dans la filière bois. Aujourd’hui, le bois accède au statut de « super-matériau » qui peut tout faire – logements, bureaux, équipements sportifs – au même titre que le béton.
L’agence Leclercq associé a démarré très tôt la construction d’ouvrages en bois en France, on peut presque parler de précurseur sur le sujet. Quel est le défi pour un architecte de se confronter au bois ?
Paul Laigle : On parle moins de défi que d’envie. En tant qu’architecte, on n’a pas besoin de changer de métier ou de carrière pour se raconter de nouvelles histoires, il suffit de trouver de nouveaux projets, ou des nouveaux thèmes de réflexion. Nous sommes allés vers le bois la première fois avec le plus gros lycée professionnel de France (lycée Jean-Baptiste Corot à Savigny-sur-Orge), pour le fondre dans un paysage naturel, tout en ayant un chantier sans nuisances. Le bois apportait cette poésie au site. La construction bois, traditionnellement, c’est le chalet. Donc, le défi c’est comment on va s’adapter, comment on va réfléchir l’écriture architecturale et son expression pour ce bâtiment scolaire, avec un matériau qu’on ne connaît pas. Il y a toujours des normes à respecter, bien sûr, mais elles ne sont pas forcément adaptées au bois à l’époque donc l’usage prend beaucoup le pas sur les normes. Les exigences ont changé au fil des années. À chaque fois qu’on avait un nouveau projet bois au sein de l’agence, on avait un sujet d’innovation partagé avec le promoteur ou le bureau d’études.
Le lycée Jean-Baptiste Corot à Savigny-sur-Orge © Cyrille Weiner
Aujourd’hui, alors qu’on avait l’impression d’avoir fait le tour du bois, de nouveaux sujets arrivent comme la doctrine feu l’été dernier ou encore l’usage du bois local. Et on retombe dans cette peur du matériau qu’on ne connaît pas alors que ça fait 20 ans que l’on travaille avec cet inconnu, qu’on expérimente et qu’on s’en sort très bien. Il faut continuer d’accepter cette expérimentation, aller chercher de nouvelles manières de construire.
La construction bois monte en puissance, voyez-vous cet engouement comme une bonne chose ?
Paul Laigle : De plus en plus de monde veut construire en bois et c’est une bonne chose, parce qu’on a besoin d’oxygéner la construction bois avec un nombre de maîtrise d’œuvre important. C’est à cette condition que nous n’aurons pas une architecture sclérosée. Mais il faut continuer d’innover, de concevoir et ne pas être uniquement dans la prescription de matériaux dits « de catalogue ». N’oublions pas bien sûr que, s’il y a 10 ans, les grands groupes industriels n’avaient pas porté ces innovations, investi dans des machines assistées par ordinateur qui permettent de construire au millimètre, s’il n’y avait pas eu ces investissements massifs qui coûtent chers, le bois ne serait jamais devenu un super-matériau. Nous avons encore besoin de grands groupes qui tirent la filière construction bois, pour aller chercher d’autres techniques. Les produits catalogue ultra performants, comme le lamellé-collé ou le CLT, sont des matériaux compétents, normés, dont on a besoin encore aujourd’hui et je ne les mets pas de côté. Par contre, il faut en plus réfléchir à d’autres techniques. Le lamellé-collé de Hêtre est un bon exemple. Apprendre à travailler avec le bois local, c’est trouver la bonne manière de l’utiliser. Peut-être qu’on construira moins haut avec nos résineux français mais l’idée sera toujours d’utiliser la bonne essence au bon endroit.
Les acteurs de la filière se divisent quant à la place à accorder au bois dans les nouvelles constructions : quel est votre ressenti par rapport à cette attitude qui consiste à opposer les matériaux entre eux ?
Paul Laigle : Le bois est apte à remplacer les autres matériaux, il en a les compétences. Mais ce serait une erreur de penser qu’on peut tout miser sur un seul matériau. Il y a aussi des avancées très intéressantes dans le béton décarbonné. Face à l’adaptation des villes au changement climatique par exemple, on a besoin de tout. On ne pourra pas tout démolir pour remplacer par une construction vertueuse. Par contre, cette conscience environnementale, qui nous pousse à chercher de nouvelles manières de construire se ressent de plus en plus du côté des architectes. Plus les collaborateurs sont jeunes, plus ils ont parfaitement conscience des enjeux de construire en 2050, que beaucoup de choses, voire la totalité, reste à inventer en 30 ans. Ils ont envie de participer à cette aventure, notamment de la construction biosourcée, c’est très important parce que c’est une valeur qu’ils veulent porter dans leur métier.
Halle sportive, Institut national du sport, de l’expertise et de la performance Insep, Paris © Cyrille Weiner
Quels sont les projets de l’agence en 2022 ?
Paul Laigle : En 2022, l’agence a plusieurs projets de reconversion de bâtiments pas forcément en bois. On garde la structure initiale et on utilise le bois pour sa légèreté, pour surélever et gagner des mètres carrés supplémentaires. Nous allons aussi chercher de nouvelles manières de construire avec les biosourcés. On vient de livrer un bâtiment dans la région parisienne à Avon (77), en construction hors-site. Il s’agit d’une construction modulaire 3D d’internat en bois, dont l’assemblage est réalisé entièrement en usine. Les chambres d’étudiants arrivent complètes et il n’y a plus qu’à les empiler sur le site : un vrai gain de temps, une autre manière de travailler, plus propre et millimétrique
On accompagne également un groupe industriel sur le sujet du béton bas carbone. Enfin, on s’intéresse à la réversibilité d’un bâtiment, sa capacité à évoluer dans le temps. Nous sommes en train de déposer un permis de construire pour la réalisation d’un bâtiment de bureaux, avec une capacité immédiate à le transformer en logements. Ce qui pose des questions intéressantes et ce qui résout aussi beaucoup de problèmes sur l’obsolescence des bureaux ou sur le manque de logements dans certains quartiers. Nous avons plein de sujets intéressants et pas que, en bois. L’avantage c’est que l’architecte, par essence, s’adapte dans son métier !
Propos recueillis par Claire Thibault – Photo de Une : © Cyrille Weiner
Livre enquête : Le bois dont on fait les villes – Leclercq Associés
Publié sous la direction de Michèle Leloup, Cyrille Weiner, Jad Hussein, François Leclercq et Paul Laigle
1ère édition, 2022, Relié
192 pages, 155 illustrations en couleur et 19 en noir et blanc
38 €
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