Ils n’ont pas obtenu une condamnation immédiate de l’État, mais un supplément d’instruction. C ‘est une « première historique » estime quand même l’avocate et ancienne ministre de l’environnement Corinne Lepage.
Dans sa décision publiée jeudi 19 novembre, le Conseil d’État a, en effet, donné raison à la commune de Grande-Synthe (Nord) et donné trois mois au gouvernement pour prouver qu’il a pris les mesures nécessaires pour tenir ses engagements climatiques issus de la Cop 21. Le gouvernement se retrouve sous pression.
C’est la première fois que le Conseil d’État, plus haute juridiction administrative, avait à se prononcer sur un contentieux lié au changement climatique. Il a d’abord jugé que la requête de la commune de Grande-Synthe était recevable. Il a relevé, en effet, que la commune littorale était «particulièrement exposée aux effets du changement climatique ». Le juge administratif demande donc au gouvernement de justifier de la « compatibilité avec la trajectoire de réduction des gaz à effet de serre » pour tenir son objectif de 2030.
«Le Conseil d’État souligne que l’État a des obligations, non pas de moyens, mais de résultats », réagit Corinne Lepage, avocate de la commune de Grande-Synthe. « C’est une décision claire et engagée. Cet arrêt historique est très important tant sur le plan international que français. C’est la portée de l’accord de Paris et des engagements en matière de dérèglement climatique qui est en jeu».
Inaction climatique
Dans sa décision, le Conseil d’Etat relève d’ailleurs que «si la France s’est engagée à réduire ses émissions de 40% d’ici à 2030, elle a, au cours des dernières années, régulièrement dépassé les plafonds d’émissions qu’elle s’était fixés, d’autant que le décret du 21 avril 2020 a reporté l’essentiel des efforts de réduction».
Jusqu’ici, les lois programmatiques et objectifs publics de diminution des émissions de gaz à effet de serre à l’horizon 2030, étaient inscrits dans la loi, sans être pour autant respectés, ce que rappelle Guillaume Hannotin, l’un des avocats des requérants : « On considérait que ces textes n’étaient pas obligatoires pour l’État. Il s’agissait de lois prises « pour la galerie », pour des raisons électorales… La décision du Conseil d’État va restaurer, de force, le crédit que l’on peut accorder à la parole publique. Cette parole qui est très forte sur les questions de réchauffement climatique, était une parole de promesses. Désormais, elle va devoir devenir une parole d’action et d’engagement ».
Une «mesure supplémentaire d’instruction»
Avant de statuer définitivement sur la requête, le Conseil d’État demande donc au gouvernement « de justifier, dans un délai de trois mois, que son refus de prendre des mesures complémentaires est compatible avec le respect de la trajectoire de réduction choisie pour atteindre les objectifs fixés pour 2030 ».
Durant cette mesure supplémentaire d’instruction, le gouvernement devra exposer concrètement les mesures prises pour atteindre ces objectifs, prévus notamment par la « Stratégie nationale Bas Carbone » dont la dernière version a été adoptée en avril. Le gouvernement y prévoyait toujours de réduire les émissions de 40% (par rapport à 1990) en 2030 et d’atteindre la neutralité carbone en 2050.
Au terme de ce délai et sur la base des informations apportées, une nouvelle procédure d’instruction sera mise en place, avant que le Conseil d’État ne statue définitivement.
Le 9 novembre dernier, le ministère de la Transition écologique avait indiqué à l’AFP qu’il serait «entièrement à disposition» pour participer à une instruction supplémentaire si celle-ci était demandée par le Conseil d’État. «Nous avons des choses à défendre», notamment en matière d’actions de décarbonation, assurait à l’AFP, une source au cabinet de la ministre Barbara Pompili.
C’est l’ancien maire de Grande Synthe, l’EELV Damien Carême, qui avait interpellé il y a deux ans le ministre de la Transition écologique : « La commune de Grande-Synthe, comme toute l’agglomération dunkerquoise, est en territoire de polders, soumise à des risques de submersion et d’inondations ».
Faute de réponse, il avait saisi le Conseil d’État, en janvier 2019 pour « inaction climatique ». « Grande Synthe a beaucoup investi dans la lutte contre le changement climatique », rappelle celui qui est désormais député européen EELV. « La population s’est aussi engagée dans un certain nombre de domaines, mobilité, consommations énergétiques, alimentation, reconnus extrêmement efficaces pour lutter contre le réchauffement climatique. Mais l’État, en dépit de ses engagements nationaux et internationaux, n’a pas répondu présent ».
L’action est rejointe par les villes de Grenoble et de Paris, et par quatre ONG – « Notre Affaire à tous », la Fondation Nicolas Hulot, Greenpeace et Oxfam -. Elles sont porteuses de » l’Affaire du Siècle « , un autre recours en justice intenté parallèlement contre l’État pour inaction contre l’urgence climatique dont la pétition a recueilli 2,3 millions de signatures.
« Pour l’Affaire du Siècle, cette première décision du Conseil d’État est déjà un premier pas vers une victoire. Elle pourra faire jurisprudence : le Tribunal administratif pourra aller encore plus loin et reconnaître par exemple l’obligation générale faite à l’État de lutter contre les changements climatiques et l’enjoindre ainsi d’agir », a réagi Greenpeace par voie de communiqué.
Texte : Mireille Mazurier
Vous devez être connecté pour poster un commentaire.