La Déclaration de Chaillot de mars 2024, signée par 70 pays lors du premier Forum Mondial Bâtiments et Climat, constitue une avancée déterminante dans la lutte contre le changement climatique, notamment pour le secteur du bâtiment. Elle marque une nouvelle étape dans la transition énergétique, après une série d’engagements internationaux amorcés par l’Accord de Paris en 2015, et vise à accélérer la décarbonation du secteur de la construction, essentiel pour atteindre les objectifs climatiques mondiaux. Cet article explore l’importance de cette déclaration pour les professionnels de l’architecture, ainsi que son rôle dans la mobilisation de la chaîne de valeur de la construction autour des objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre.
Un engagement pour un secteur à fort impact carbone
Le secteur du bâtiment est l’un des plus grands contributeurs aux émissions mondiales de gaz à effet de serre, représentant environ 21 % des émissions globales. Avec l’augmentation constante des surfaces construites et l’urbanisation rapide, les progrès réalisés en matière d’efficacité énergétique sont souvent annulés par l’expansion des zones bâties. Ce constat a été mis en lumière par un rapport accablant de l’Alliance mondiale pour les bâtiments et la construction en 2019, montrant que depuis la signature de l’Accord de Paris, aucune réduction significative des émissions du secteur n’avait été observée à l’échelle mondiale.
En réponse à cette situation, plusieurs initiatives ont émergé, notamment le “buildings breakthrough”, un engagement signé par 28 pays à la COP28 en 2023, visant à rendre les bâtiments quasi zéro émission et résilients d’ici 2030. C’est dans cette dynamique que s’inscrit la Déclaration de Chaillot, qui réunit désormais un plus large éventail d’États et d’organisations pour renforcer la coopération internationale et promouvoir une transition rapide et efficace.
Genèse et cadre de la Déclaration de Chaillot
La Déclaration de Chaillot tire son nom de la rencontre fondatrice de décembre 2015, à l’occasion de la COP21 à Paris, au cours de laquelle le Programme des Nations Unies pour l’environnement a lancé l’Alliance mondiale pour les bâtiments et la construction (GlobalABC). Ce réseau international a été créé dans le but de soutenir les gouvernements et le secteur privé dans la mise en œuvre de solutions bas carbone pour les bâtiments. Le texte de 2024, né d’une série d’engagements et de constats critiques, officialise un ensemble d’actions nécessaires pour que le secteur contribue de manière significative à l’atteinte de l’objectif de l’Accord de Paris : maintenir l’augmentation de la température mondiale bien en dessous de 2°C par rapport à l’ère préindustrielle.
La Déclaration de Chaillot met l’accent sur plusieurs principes clés pour encadrer cette transition. Tout d’abord, elle reconnaît que la transition énergétique dans le secteur de la construction ne peut être uniforme et doit tenir compte des spécificités économiques, culturelles et climatiques de chaque État. Chaque pays est encouragé à développer des feuilles de route et des cadres réglementaires adaptés, tout en s’appuyant sur la coopération internationale pour harmoniser les efforts globaux.
Engagements et priorités de la Déclaration de Chaillot
Les 70 pays signataires de la Déclaration se sont engagés à atteindre des objectifs ambitieux, mais réalistes, dans la transformation du secteur de la construction. Parmi les principales orientations, on note l’importance de :
• Mettre en place des cadres réglementaires contraignants, incluant des codes de la construction et des standards énergétiques stricts, pour parvenir à la construction de bâtiments neutres en carbone ou à émissions quasi nulles. Cela implique de réformer les normes en vigueur et de promouvoir des exigences environnementales qui limitent drastiquement l’empreinte carbone des nouveaux projets.
• Créer un environnement financier propice, avec des incitations fiscales et financières ciblées pour encourager l’innovation dans le bâtiment durable. Cette approche comprend le soutien à la rénovation énergétique des bâtiments existants, l’augmentation de la part de matériaux à faible émission de carbone, et l’accessibilité des technologies de pointe.
• Favoriser l’utilisation de matériaux durables, à faibles émissions de carbone et aux coûts limités, à travers des politiques incitatives. Cela pourrait inclure l’adoption de labels et certifications environnementales qui garantissent la performance énergétique et écologique des bâtiments.
• Encourager la recherche et le développement de solutions innovantes pour la construction, en impliquant toute la chaîne de valeur du secteur. Cela inclut la promotion de chaînes d’approvisionnement plus collaboratives, des innovations en matière de construction modulaire ou préfabriquée, et une meilleure intégration des systèmes énergétiques intelligents.
• Développer les compétences et le savoir-faire locaux, en promouvant une approche participative et en renforçant les capacités techniques des professionnels du bâtiment à travers des programmes de formation spécifiques. Cela permettrait de faire émerger des solutions adaptées aux contextes locaux, tout en créant des emplois durables et en stimulant l’économie circulaire.
Vers une architecture résiliente et bas carbone
Pour les architectes, la Déclaration de Chaillot représente un tournant. Elle les place au cœur de la transition énergétique, en les incitant à repenser radicalement la conception des bâtiments. Les architectes doivent désormais intégrer des stratégies de durabilité, non seulement à travers l’efficacité énergétique et l’usage de matériaux écologiques, mais aussi par une approche plus globale de la conception résiliente. Le bâtiment doit devenir un organisme en interaction intelligente avec son environnement, capable de s’adapter aux contraintes climatiques tout en minimisant son impact écologique.
Cette déclaration promeut également la rénovation des bâtiments existants, une priorité absolue pour réduire l’empreinte carbone du secteur. Plutôt que de démolir et de reconstruire, la mise à niveau énergétique des infrastructures patrimoniales et des bâtiments existants permet de préserver le capital carbone incorporé dans les matériaux tout en améliorant leur performance. Cela nécessite une adaptation des techniques modernes aux constructions historiques, ce qui présente un défi mais aussi une opportunité pour les architectes d’innover.
La Déclaration de Chaillot de 2024 marque donc une étape décisive pour le secteur de la construction dans la lutte contre le changement climatique. Pour les professionnels de l’architecture, elle impose une révision complète des pratiques, allant de la conception des bâtiments à l’utilisation de matériaux, en passant par la gestion de l’énergie et la collaboration à tous les niveaux. La mobilisation internationale autour de cette déclaration, soutenue par l’Alliance mondiale pour les bâtiments et la construction, renforce l’idée qu’une transition vers un secteur bâti bas carbone est non seulement possible, mais nécessaire et inévitable. Les architectes, en tant que créateurs des environnements de demain, ont un rôle crucial à jouer dans cette transition vers une architecture durable, résiliante et capable de répondre aux défis climatiques du 21ème siècle.